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08.04.2022

Nouvelle : "Le reste m'appartient"





« Sa’har ? »

Cette voix lui était si familière, malgré les années qui s'étaient écoulées. Elle semblait terriblement lointaine, et pourtant suffisamment proche pour qu'elle se mette en quête de sa provenance.

« Sa’har, est-ce que c'est toi ? »

La voix, résonnant de tous côtés, était plus forte. Plus proche. Elle courut vers le son, mais ses pieds étaient lourds... comme la pierre.

« Sa’har ! J'ai toujours su que tu me retrouverais. Je suis si content de te voir. »

Il était là.

Sa’har tendit une main tremblante vers le frère qu'elle n'avait pas revu depuis qu'elle avait été emmenée pour être formée par les Jedi. En approchant ses doigts, elle remarqua que le visage pâle de son frère était marqué par la peur et le désespoir. Juste en dessous, une chaîne lourde et rouillée s'était enchevêtrée autour de son cou.

Mais dès l'instant où Sa’har effleura le métal froid des entraves du bout des doigts, sa vision se brouilla. Un bourdonnement grave se fit de plus en plus fort ; une chaleur insupportable s'emparait de son corps. Elle saisit farouchement son frère des deux bras, mais il s'effondra comme la poussière et la cendre à son contact.

« Ri’kan ! »

Sa’har s'éveilla, appelant désespérément le nom de son frère, mais elle n'obtint pour seule réponse que le grondement incessant du moteur du vaisseau. Sa vision s'éclaircit et le plafond en duracier des niveaux inférieurs étouffants du vaisseau lui apparut lentement. Elle était trempée de sueur et ses membres étaient entortillés dans le drap rugueux qui recouvrait son hamac.

Elle avait fait le même rêve pour la cinquième nuit d'affilée. De toute évidence, les longues journées qu'elle passait à méditer à la recherche d'indices qui pourraient la mener à son frère commençaient à l'épuiser.

Mais c'était la première fois qu'elle avait réussi à toucher Ri’kan dans son rêve, et elle n'avait pas apprécié ce qui s'était passé ensuite. Était-ce un signe ? Ou ses doutes s'immisçaient-ils même jusque dans les parties subconscientes de son esprit ?

Sa’har repoussa sa couverture au pied de son hamac et se laissa glisser au sol, les jambes croisées et le dos droit.

Le transport de passagers qu'elle avait infiltré n'était plus tout neuf et avait grand besoin de quelques rénovations. Cependant, le local d'entretien qu'elle avait secrètement transformé en chambre improvisée se situait près du moteur, et les vibrations constantes de ses pauvres pistons et turbines facilitaient ses transes. Elle avait à peine fermé les yeux et commencé à se concentrer qu'elle retrouva cet endroit, quelque part au plus profond de son esprit, où sa conscience s'unit à la Force pour appeler Ri’kan.

« On peut encore trouver ton frère ! »

Encore sa voix. Le Sith. Malgus.

Sa’har secoua la tête pour se reconcentrer et tendit désespérément la main. Si ses rêves étaient le miroir de la réalité, Ri’kan avait besoin d'elle en ce moment même.

« Concentre-toi, Sa’har... »

Elle sentit un sentiment de confort l'envahir en se remémorant les premières paroles que lui avait adressées son maître...

Des phalanges se serrent autour d'un sabre laser rouge. Maître Denolm est suspendu dans les airs, impuissant. Malgus rugit de frustration : « Sais-tu ce que ton maître vient de détruire ? »

Sa’har serra les dents. La voix de Malgus devenait plus forte. Des accusations et des questions furieuses se bousculaient dans son esprit : son frère était en danger par la faute de Maître Denolm. Elle mit de côté les provocations de Malgus et se concentra sur la recherche de Ri’kan.

« Tu as passé toute ta vie dans une cage, padawan. » Malgus arracha l'holocron des mains de Sa’har avec aisance. Elle avait du mal à respirer, à empêcher les pierres qui chutaient de la tuer. Elle cria...

Ses yeux s'ouvrirent. Ses pensées, ses souvenirs de Maître Denolm... ils pourrissaient peu à peu, contaminés par les paroles de Malgus. Plus elle méditait à la recherche de son frère, plus ils empoisonnaient son esprit comme un gaz nocif.

Non loin d'elle, fermement enveloppé dans une cape déchirée qu'elle avait volée, l'holocron que Sa’har avait trouvé en s'échappant du temple en ruines d'Elom se mit à palpiter. La relique vibrait toujours d'une énergie latente, mais plus intensément. Il chantait presque pour elle. Savait-il ? Pouvait-il sentir ce qu'elle désirait ?

Sa’har se glissa de l'autre côté de ses quartiers improvisés et déballa l'holocron. Il brillait plus qu'avant, comme pour répondre à sa question. Malgus prétendait qu'il pouvait être la clé pour trouver Ri’kan... mais on ne pouvait pas lui faire confiance. C'est ce que Maître Denolm avait dit. Mais Maître Denolm avait aussi menti...

Elle savait une ou deux choses au sujet des vieilles reliques de la Force comme celle-ci. Maître Denolm était un historien, après tout, et elle avait perdu le compte de tout ce qu'ils avaient déterré ensemble. D'après son expérience, il n'était pas impossible qu'une telle relique renferme quelque chose de dangereux, mais le plus souvent, il ne s'agissait que d'informations. Rien de plus, rien de moins. De simples données pouvaient-elles être si terribles ?

Cet holocron ne ressemblait à rien de ce qu'il lui avait été donné de voir auparavant. Sa conception était splendide et délicate, mais aussi extrêmement complexe. On aurait pu croire qu'il se briserait, si quelqu'un de mal informé essayait de s'en servir.

Sa’har pressa les bords de l'holocron du bout des doigts et tenta de le tordre. Quelque chose sembla céder, mais il resta fermement scellé. Elle y appliqua plus de pression, se connectant à la relique avec la Force. Elle sentit quelque chose à l'intérieur de l'holocron, comme une tension grandissante, culminante. Alors, elle y mit toutes ses forces... et l'holocron en fit de même.

Elle leva les bras pour se protéger de ce qui ressemblait à une vague gigantesque et écrasante. Sa force suffit à la séparer de l'holocron et à la projeter sur le dos. Tandis qu'elle récupérait, les pulsations tambourinant de l'holocron se firent plus calmes. Sa lueur s'était atténuée.

Se relevant avec hâte, Sa’har lutta contre son envie de crier. Elle n'était pas certaine que le bruit des moteurs aurait couvert ses cris, et elle ne voulait pas qu'on vienne fourrer son nez dans ses affaires. Elle leva un pied en arrière, mais sa tentative de frapper l'holocron fut interrompue par les grondements de son ventre vide. Elle n'avait rien avalé depuis un long moment.

Après quelques inspirations profondes, elle reposa son pied au sol. Elle s'étira les jambes, fléchissant chevilles et orteils. Elle ferma les yeux et tenta de repérer une quelconque présence à l'extérieur de sa chambre clandestine, mais elle ne sentit rien. Les autres passagers avaient dû aller se coucher.

Sa’har ouvrit prudemment sa porte et jeta un coup d'œil dans le couloir. L'obscurité. Le silence. L'occasion parfaite pour se faufiler dans la coquerie.

Alors qu'elle progressait sans bruit dans le couloir obscur, puis dans les escaliers, son estomac protesta à nouveau, l'exhortant à se dépêcher de le satisfaire. Elle n'avait pas connu une telle faim depuis qu'elle avait vécu sur Ossus avec Maître Denolm, au sein d'une colonie de réfugiés qui avait été construite à partir de rien. Avant que leurs fermes ne produisent des vivres, ils avaient eu la vie dure. La nourriture était une bénédiction qui devait être partagée.

Les habitants de la colonie avaient appris à se contenter de peu. Mais ça... voler du matériel, détourner une navette pour s'éloigner d'Elom, voyager clandestinement... c'était tout nouveau. Mais après tout, ces derniers jours, Sa’har avait été contrainte de s'aventurer en terre inconnue à plus d'une reprise.

La coquerie était aussi vide que le couloir qui y menait. Sa’har y pénétra aussi lentement et silencieusement qu'elle le pouvait. La pièce était plongée dans une obscurité presque totale, à l'exception d'une lampe que quelqu'un avait oublié d'éteindre (par chance, pour Sa’har) dans l'un des garde-mangers.

Elle était à mi-chemin entre la porte de la coquerie et celle du garde-manger quand quelque chose percuta bruyamment le sol. Le choc du métal contre le métal résonna dans toute la salle et Sa’har se figea.

Une silhouette apparut sur le seuil du garde-manger, soulignée par la lumière derrière elle. Elle était à peine plus grande que Sa’har en taille, bien que plus âgée. Ses cheveux bruns lui arrivaient au menton et elle se tenait sur deux jambes cybernétiques.

« Oh, pardon ! » dit l'inconnue en souriant. « J'espère que je ne t'ai pas fait peur. Je ne pensais pas qu'il y aurait quelqu'un d'autre ici. »

Sa’har ne sut pas quoi lui répondre. Ses vêtements étaient tout à fait banals, mais elle n'était manifestement pas mécanicienne ou membre d'équipage. C'était sans doute une passagère qui était loin de se douter, ou de se soucier, qu'elle venait de prendre une clandestine sur le fait.

« J'imagine que je ne suis pas la seule à ne pas pouvoir fermer l'œil quand j'ai faim », plaisanta-t-elle en s'emparant d'une conserve décolorée et cabossée et d'une casserole qui avait connu des jours meilleurs. « Je comptais me servir un peu de ce ragoût d'orphie. Je pense que ça ne dérangera personne. » Son regard s'arrêta sur la boîte de conserve. « Je suis même étonnée qu'ils en aient. Tu en veux ? »

Sa’har hocha lentement la tête et la femme ouvrit la porte en grand, éclairant de la lumière du garde-manger le visage de Sa’har et l'espace dédié à la préparation des repas. Sa’har lui tourna le dos, intimant à son cœur de se calmer. Elle s'approcha d'une table qui jouxtait le garde-manger et descendit doucement deux des chaises qui étaient rangées dessus.

« Merci », dit la femme en versant le ragoût dans la casserole. « Ça ne devrait pas prendre plus de quelques minutes. »

Bientôt, une odeur relevée envahit la coquerie. Sa’har put sentir à quel point le plat était épicé quand la cuisinière en versa deux portions dans des bols qu'elle disposa sur la table.

« On peut manger en silence si tu veux », dit-elle en prenant place en face de Sa’har, « mais je pense qu'un repas est toujours meilleur quand il est partagé. Je suis contente d'être tombée sur toi, euh... »

Sa’har s'éclaircit la gorge et tira un bol vers elle. « ... Tau. Je m'appelle Tau. »

« Ravie de te connaître, Tau. » La femme prit un peu de ragoût dans sa cuillère, souffla sur la vapeur qui s'en dégageait, puis goûta. « Pas mal. »

Sa’har prit une bouchée à son tour. C'était bien meilleur que « pas mal ». Elle ne savait pas si c'était parce qu'elle n'avait pas mangé depuis des jours, mais c'était peut-être le meilleur plat qu'elle ait jamais goûté. Un silence s'installa entre les deux femmes pendant que Sa'har dévorait le ragoût.

« Eh bien ! Je crois que c'est le plus beau compliment que ma cuisine ait jamais reçu. »

Sa’har ne put s'empêcher de sourire. « C'est vraiment bon. Merci, au fait. »

« Je suis contente d'aider. » La femme reprit une bouchée, et quand le silence revint, s'étirant dans les ténèbres, elle fit tourner sa cuillère dans son bol à moitié vide. « Alors... Qu'est-ce que tu fais dans la vie, Tau ?

Sa’har toussa, puis tenta de masquer son embarras avec une autre cuillérée de ragoût. « Ce que je fais ? »

« Désolée », rit la femme. « Quand j'ai dit qu'un repas est meilleur quand il est partagé, je voulais dire que je déteste les silences gênants. »

Sa’har sourit, les lèvres pincées, en espérant réussir à masquer son affolement. « Je, euh... Je suis fermière. »

« Ça alors ! Vraiment ? » La femme sourit. « Moi aussi ! »

« Enfin... J'étais fermière. » La cuillère de Sa’har racla le fond de son bol. « J'ai dû partir. »

« Oh. C'est dommage », dit la femme en fronçant les sourcils. « À moins que ce ne soit pas le cas ? Tu voulais faire autre chose ? »

« Je ne... En fait, je ne sais pas. » Sa’har poussa son bol, désormais vide, au milieu de la table. Elle sentit des larmes brûlantes perler au coin de ses yeux, mais elle serra les dents pour les retenir. « Mon... mon père... est mort. C'est lui qui m'a tout appris... à la ferme. »

Le visage de la femme se contracta en une expression de pitié. Sa’har se pencha en arrière et croisa les bras sur sa poitrine comme si elle levait un bouclier. « Je sais qu'il voudrait que je continue. Que je continue de faire ce qu'il m'a appris. Mais... »

Maître Denolm crie un ordre au milieu du vacarme du combat. « Détruis cette machine et toutes les archives ! »

« Mais je ne sais plus si c'est ce que je veux faire », explose Sa’har.

« Je suis désolée. » La femme avait elle aussi terminé son repas. Les sourcils froncés, elle poussa son bol vide près de celui de Sa’har. « Je suis vraiment désolée. J'ai perdu ma mère quand j'étais jeune. »

Elle observait Sa’har avec une sincérité que cette dernière ne connaissait pas. Après toutes les vérités qu'on lui avait cachées, toute sa vie... la compagnie de quelqu'un qui désirait tant l'écouter et la comprendre était tentante.

« Je suis désolée aussi. » Sa’har déglutit. « Mon père... »

Son frère, seul, déchire violemment son jouet en deux. La voix méprisante de Malgus résonne dans les ruines. « Combien ont été écartés... »

« Il avait beaucoup de... secrets. Je commence à peine à les découvrir. Je me demande si je le connaissais vraiment. Si j'ai eu raison de l'écouter. S'il m'a mise sur la bonne voie... »

« Ça... C'est vraiment dur. » Il y avait un tremblement dans la voix de la femme. « Crois-le ou non, je sais ce que c'est, moi aussi. D'avoir un père qui te cache des choses, même s'il pense qu'il agit pour ton bien. »

Sa’har sentit un pincement dans sa poitrine. « Comment... Comment avez-vous fait ? Pour gérer tout ça. »

« Eh bien... Je n'y suis pas arrivée tout de suite. J'avais toujours comme une sorte d'ombre dans un recoin de ma tête. Elle restée, même après que je lui en ai parlé et que j'ai obtenu les réponses dont j'avais besoin. Cette ombre me faisait douter de moi, quand il n'était pas là. Est-ce qu'il partait parce que je n'en valais pas la peine ? »

Master Denolm’s hand reached toward her. Sa’har stepped back. “You could have saved my brother.”

La femme se leva et saisit les deux plats vides. « Il m'a fallu du temps pour réaliser que les choix de mon père n'avaient rien à voir avec moi », dit-elle en portant les bols dans l'espace de préparation des repas. « Bien qu'il m'ait juré que s'il était à court d'épices et de blasters, c'était parce qu'il avait besoin de crédits pour s'occuper de moi. »

Le visage de Maître Denolm se décomposa. « Je t'ai toujours protégée ! »

Elle posa les bols dans une bassine vide avant de se retourner vers Sa’har. « Un jour, j'ai compris. J'aimais mon père, mais ça ne signifiait pas qu'il était parfait. C'était impossible, peu importe l'admiration que je lui portais. »

« Tu dois me faire confiance ! » La voix de Maître Denolm se brisa alors qu'il tentait désespérément de faire entendre raison à Sa’har.

La femme était revenue à table. « Quand j'ai compris ça, tout est devenu plus clair. Mon père n'est qu'humain. Il a géré le malheur et les difficultés du mieux qu'il pouvait. Il a fait les choix qu'il pensait justes. Même si je ne suis pas d'accord avec lui, je sais que je peux au moins le comprendre. »

Sa’har parlait avec difficulté, sa voix alourdie par l'angoisse et la méfiance. « Est-ce que j'ai été choisie par la Force... »

La femme reprit sa place en face de Sa’har. « Mais c'est tout ce que je peux lui donner. De l'amour, et du pardon pour le passé. À part ça, tout le reste m'appartient. Je consacre mon temps et mon attention à ce que je veux faire. À la personne que je veux être. »

« Ou par vous ? »

« Je suis désolée », s'excusa la femme avec un rire sec. « Je n'avais pas l'intention de te déballer toute ma vie... » dit-elle en souriant. « Mais c'est agréable d'être écoutée. »

« Je sais », répondit Sa’har, à peine plus haut qu'un murmure. Elle croisa fermement ses bras autour de son corps. Maintenant que le réconfort apporté par le repas chaud s'était estompé, et prenait conscience du froid qui lui mordait la peau.

« Merci, » dit Sa’har en se relevant, les pieds de sa chaise crissant sur le sol métallique de la coquerie. « Pour le repas. »

Avant que la femme ne réponde, Sa’har tourna les talons et se dirigea vers la porte.

« Oh... Merci de m'avoir tenu compagnie ! » Sa’har entendit la voix de la femme s'estomper derrière elle. « À un de ces jours, Tau... »

Dès qu'elle fut enveloppée dans l'ombre du couloir, elle pressa le pas pour regagner sa chambre de fortune. Soudain, le ragoût d'orphie lui fit l'effet d'une pierre dans son estomac. Son souffle se fit rapide et court, comme si elle commençait à manquer d'air. Comme si elle était de retour sur Elom, piégée dans le temple en ruines...

De retour dans sa chambre, Sa’har fit un signe de main pour claquer la porte à l'aide de la Force, puis elle s'effondra dans son hamac. Pliée en deux, elle agrippa ses tempes, se répétant intérieurement les mots de cette femme.

« Tout le reste m'appartient. Ce que je veux faire. La personne que je veux être. »

Sa’har se sentait plus perdue, plus à la dérive que jamais. Elle ne savait pas être autre chose que la padawan de Maître Denolm. Il n'était plus là... Que lui restait-il ?

À travers le bourdonnement des moteurs du transporteur, un son plus léger et plus délicat parvenait à s'imposer dans l'air. Sa’har jeta un coup d'œil à l'holocron, qui reposait non loin d'elle. Il chantonnait doucement, encore et encore. Sa faible lueur bleue était revenue.

Sa’har ramassa l'holocron là où elle l'avait lâché. La relique se logea docilement entre ses mains.

Malgus ricane. « Sais-tu ce que ton maître vient de détruire ? »

Cette fois, alors que Sa’har luttait contre l'holocron, il semblait moins réfractaire. Plus malléable. Il voulait lui montrer. Il voulait qu'elle comprenne.

« Il n'est pas trop tard ! On peut encore trouver ton frère. »

Ri’kan. Maître Denolm avait eu tort de refuser de le prendre sous son aile. Et il ne lui avait jamais parlé des capacités de Ri’kan : une autre de ses mauvaises décisions prises sous le prétexte de protéger Sa’har.

Des rouages se mirent en marche. Métal et cristal coulissèrent. La lumière qui provenait de l'holocron, à présent presque aveuglante, projetait des dessins, des motifs, aussi élaborés et déroutants que les marques qui décoraient l'extérieur de la relique, sur les murs en duracier.

Les yeux de Sa’har s'écarquillèrent quand elle examina les illustrations qui se déployaient. Elle avait souvent assisté Maître Denolm dans ses recherches, mais elle n'avait jamais rien vu de pareil. La seule chose qui s'en rapprochait était les vestiges déchirés d'un texte qu'ils avaient trouvés dans la bibliothèque Jedi en ruines qu'ils avaient explorée ensemble sur Ossus.

Les souvenirs des enseignements de son défunt maître lui revinrent en mémoire. Quand elle commença à reconnaître ce qu'elle voyait et à y voir un peu plus clair, une larme glissa sur sa joue, brûlant sa peau. Son corps la brûlait terriblement, comme si elle pouvait s'embraser à tout moment.

Elle ne pouvait pas en être tout à fait sûre, mais elle en avait vu assez pour savoir que les plans de cet holocron étaient différents. Quoiqu'ait été la machine sur Elom, ça n'avait rien à voir. L'holocron avait quelque chose de plus. Cet appareil ne servait pas simplement à trouver des âmes oubliées, ce qui était, selon Magnus, la fonction de la machine que Maître Denolm avait détruite. Il avait été conçu pour leur parler ; pour embraser quelque chose en eux, comme du petit bois.

Un bruit sourd fit sursauter Sa’har quand l'holocron frappa le sol. Les plans d'un bleu brillant avaient disparu, et la relique gisait à ses pieds, sombre et silencieuse.

Malgré toute sa puissance, toutes ses connaissances, Maître Denolm n'était qu'humain. Il savait ce dont cette machine était capable, ce qui aurait pu arriver si elle avait essayé de s'en servir... et il a fait ce qu'il pensait être pour le mieux.

« Sa’har. » Les yeux de Maître Denolm étaient grands ouverts et braqués sur les siens.

Elle pouvait lui accorder son pardon. Sa compréhension. À part ça, tout le reste lui appartenait. À la personne qu'elle voulait être, à ce qu'elle voulait faire.

Elle ne se souvenait pas de la dernière fois que Maître Denolm avait soutenu son regard avec une telle gravité. « Je suis désolée. »

« Je sais », murmura Sa’har. Les moteurs du vaisseau bourdonnèrent comme pour lui répondre. « Je ne vous en veux pas. Mais c'est quelque chose que je dois faire. »

Bercée par les pulsations régulières du vaisseau, Sa’har se laissa sombrer vers le sol. Elle ferma les yeux, ramena ses genoux contre sa poitrine, et tendit l'oreille.

« Concentre-toi, Sa’har... »

Quand Sa’har rouvrit les yeux, le vaisseau n'était plus là. Un jeune Maître Denolm s'assit en face d'elle, sur le sol de l'orphelinat où sa vie a commencé. Ri’kan était à ses côtés, frétillant d'excitation, un sourire aux lèvres, impatient d'impressionner le Jedi qui était venu leur rendre visite.

Maître Denolm sourit lorsqu'il tendit une main pour lui offrir un simple jouet. « Aie confiance en toi. » Sa voix était douce. « Tu peux le faire. C'est peut-être difficile, mais ce n'est pas impossible. »

Sa’har tendit les deux mains vers le jouet et, avant de pouvoir l'attirer vers elle et recréer ce qui s'était produit il y a si longtemps, elle se retrouva ailleurs. C'était une navette de bonne facture, mais exiguë, du genre de celles qu'appréciaient les sénateurs de la République les bien moins nantis, et elle fonçait dans l'hyperespace. Elle en voyait souvent, quand Maître Denolm l'emmenait sur Coruscant. Le monde qu'ils fuyaient, ainsi que les autres Jedi survivants.

« Ce n'est pas fini, Sa’har. » La voix de Maître Denolm semblait exténuée tandis qu'il enveloppait les épaules de Sa'har de son manteau. Elle tremblait encore de leur affrontement contre les terribles envahisseurs qui se frayaient un chemin à travers la République. « Cette souffrance ne peut durer éternellement, et nous devons être prêts à tout reconstruire quand ce sera fini. »

Elle observait son visage déterminé qui se découpait désormais sur le soleil ardent d'Ossus, haut dans le ciel derrière lui. Le sol sous ses genoux était sec, crevassé. Elle avait échoué à faire pousser des fruits barabels, et la preuve de son insuccès gisait tout autour d'eux.

Maître Denolm tendit la main et aida Sa’har à se relever. « La Force t'a choisie. Je... t'ai choisie. Je sais de quoi tu es capable, même si tu ne le vois pas encore. » Il se détourna et s'éloigna, et Sa’har le suivit. En quelques enjambées, le désert d'Ossus laissa place à une mer de Glace. Elle le suivait en direction de l'entrée des ruines du temple sur Elom.

Maître Denolm s'arrêta, son regard s'élevant jusqu'au sommet des ruines. Sa’har se tenait à ses côtés. Elle ressentait sa peur, sa lutte intérieure pour se convaincre qu'il agissait pour le mieux, et surtout, ses efforts pour écarter ses doutes.

« Mais viendra un temps où les doutes obscurciront ton cœur et où je ne serai plus là pour te le dire. » Maître Denolm se tourna vers elle. « Tu devras te le dire toi-même, te choisir toi-même, et tu devras y croire. »

Soudain, il n'était plus là. Elom avait disparu. Sa’har était seule. Autour d'elle ne s'étendait qu'une désolation poussiéreuse et sans vie. Mais au loin, à l'horizon, elle pouvait apercevoir une silhouette obscure, pas plus grande qu'une épingle. Elle avança et la silhouette obscure grandit à mesure qu'elles s'approchèrent l'une de l'autre.

À présent, elle le distinguait très clairement. Il était juste devant elle. Il était plus âgé et il avait changé, mais elle reconnaîtrait toujours son frère. Il avait l'air d'un guerrier, puissant et robuste. Son cou était entouré des chaînes que Sa’har voyait dans ses cauchemars, mais elles étaient brisées et détachées. Il lui sourit et tendit ses deux mains. Elle voulut les saisir, quand elle remarqua qu'il tenait un couteau.

« Quand tu seras prête, brise tes chaînes. » L'obscurité se rapproche...

Elle rouvrit les yeux, mais les ténèbres étaient toujours là. La chaleur et le bruit lui indiquèrent qu'elle était toujours sur le sol de son refuge, à bord du vaisseau. L'holocron brillait à nouveau d'une lueur douce, faible, mais stable. Le poids de la défaite qui l'étouffait depuis qu'elle avait fui Elom avait disparu. Au contraire, elle ressentait l'attraction de la Force. Un lien entre son frère et elle. Une boussole qui guidait Sa’har à Ri’kan.

Sa’har se leva, saisit la cape déchirée qu'elle utilisait pour dissimuler l'holocron, et en drapa la relique. Elle rassembla ses autres possessions autour de la relique afin de pouvoir les récupérer et déguerpir dès que le vaisseau arriverait à bon port, quelques jours plus tard.

À l'arrivée, elle devrait se faufiler à bord d'un nouveau vaisseau, mais cette fois, elle connaissait sa destination. Cette fois, elle savait ce qu'elle devait faire, qui elle devait être : Une guerrière, une libératrice, une amie... une sœur.

Sa’har s'allongea dans son hamac et s'efforça de se calmer. Elle aurait besoin de beaucoup de repos pour le combat qui l'attendait. Elle relâcha la tension dans ses muscles et laissa son esprit partir à la dérive. Elle pensa à Ri’kan, à Maître Denolm, à la femme de la coquerie. Bientôt, son esprit apaisé sombra dans le sommeil, conforté par la certitude que pour la première fois depuis longtemps, les cauchemars ne le visiteraient pas.

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